Dimanche 7 décembre – 7 heures

Cette nuit, sur tribord, un grand halo lumineux perce la couche nuageuse épaisse et noire.
Ce sont les lumières de Recife, à la pointe nord-est du Brésil.

Nous naviguons à 40 milles des côtes. Trop près à notre goût mais, jusqu’à présent, le vent ne nous a guère laissé le choix.

Fort en première partie de la nuit, ce satané vent a tourné. Rémy a tout tenté avec les voiles.

Rien à faire.

Cette nuit se terminera au moteur – vitesse 4,5 nœuds.

Après 12 jours de silence, nous nous en serions passés !


Midi

Le Capitaine est aux anges.

Malgré un vent faible, notre   file à 6,5 nœuds. Nous bénéficions probablement du courant du Brésil.

De plus, une petite bonite s’est accrochée à notre ligne de pêche. 

Encore du boulot pour le marmiton !

Et comme le thon, on en a un peu marre, il va falloir innover
.

      
   

Terre à tribord  !

Au loin, nous devinons les reliefs de la côte.
Nous ne sommes qu’à 15 milles.

Candice déplore : « Dire qu’en 3 heures, on pourrait être à terre et qu’on a encore 3 jours de nav. ! »

 

Point de 13 heures

Position : 9° 13 S – 35° 02 W
Cap : 220
Distance parcourue : 1793 milles

 

Dans l’après midi, nous déchantons.

Notre vitesse chute de nouveau – moins de 4 nœuds – mais surtout une houle puissante et courte nous secoue sans aucun ménagement.

Quel l’imbécile qui a remis en route la moissonneuse ?

Tout ce qui est vertical finit inexorablement à l’horizontale.

Quant aux muscles des jambes, ils deviennent douloureux à force de compenser les mouvements du bateau.

Espoir déçu !


18 heures 30

Une gerbe d’eau jaillit au loin puis une énorme masse plonge.

Hélas, cette baleine ne refera pas surface aux abords de .

Lundi 8 décembre – 4 heures 30

Le vent est tombé, comme hier.
Le moteur ronfle depuis hier, 22 heures.


7 heures


Le vent se lève – Arrêt moteur.

Mais la houle est toujours et éternellement de travers.

Nous ne connaîtrons donc jamais le plaisir de naviguer poussés par les vents portants des alizés.

 

Point de 13 heures

Position : 10° 36 S – 36° 09 W
Cap : 220
Distance parcourue : 1900 milles

Vitesse Moyenne : 4 nœuds


 

Depuis 2 jours, Candice harcèle son père :

« Dans combien de jours on arrive ? »

« Encore 2 dodos . . . si tout va bien !!! »

« Ah bon ?     Alors je me remets au travail ! »


20 heures

Sur 24 heures, à petite vitesse, nous maintenons malgré tout nos 100 milles journaliers.

Mardi 9 décembre - Midi

Cette nuit a connu un début difficile.

Après 3 nuits calmes et alors que nous avions ressorti toute la toile (GV et génois), plusieurs grosses averses sont venues rincer le pont couvert de sel.

Le vent, toujours assez violent sous ces nuages noirs, nous a contraints à nous lever plusieurs fois afin de réduire la grand-voile, puis finalement réduire aussi le génois.

Une fois tous ces efforts déployés, le vent est finalement tombé.
Grrrr !

Et les grincements et claquements ont recommencé.
Grrrr !  Grrrr !

Depuis 4 heures du matin, nous sommes donc au moteur.

Mais surtout, depuis hier, nous ne pouvons plus compter sur notre pilote automatique. Le capteur de barre s’est cassé.

De quoi occuper notre capitaine à l’arrivée !

Il nous reste notre pilote de barre qui, avec si peu de vent, perd totalement la tête et nous balade de bâbord à tribord, avec des écarts de plus de 50 degrés. Parfois même 100 degrés.

On va finir par doubler la distance !

Toutefois, aucun d’entre nous n’ayant envie de prendre la barre pendant des heures, nous ne nous plaignons pas.

 

Point de 13 heures

Position : 11° 40 S – 37° 04 W
Cap : 217
Distance parcourue : 1984 milles


 

Aujourd’hui, la mer est calme. Mais le vent l’est tout autant et le temps est « mi figue, mi raisin ». Des ondées venant régulièrement remplacer un soleil radieux.

Journée très calme – Pas de vent – Moteur.

Résultat :

De l’énergie " à bloc" dans nos batteries dont saura profiter notre mousse.

Mais la tête comme un tambour . . . surtout pour le Capitaine toujours très sensible au bruit.

      
     
Allez, un p’tit sourire pour la photo !
       Hum ?! …     
 
Nous ferons avec !
      

La bonne humeur de Rémy, quasi constante depuis notre départ de Casamance, s’est donc envolée.

 

Notre Capitaine est bougon. Et cela ne nous manquait pas.

Qu’as-tu Capitaine ?

« J’sais pas… le moteur… et puis, j’appréhende un peu l’arrivée… »

 (sous-entendu le retour à la civilisation, vous l’aurez compris !) »

23 heures 30

Toujours au moteur avec génois et grand-voile.
Tout est calme.
Candice veille.
Je n’arrive pas à dormir. L’excitation de toucher au but, probablement

Je rejoins ma fille dans le carré.
   Soudain, il pleut et le bateau se met à giter brutalement.
     Candice est déjà dans le cockpit mais ne parvient pas à choquer la grand-voile.
      

Je monte – Impossible – L’écoute est trop tendue.
           Nous gitons de plus en plus.

« Rémy… Papa… »

J’aurais enfin le dessus à grand renfort de coups de poing sur l’écoute.

Incroyable comme le vent devient violent sous ces grains.

Puis . . . nuit calme . . .

Mercredi 10 décembre – 7 heures

Dans quelques heures, la quille !

Sur tribord, longeant la côte, il me semble voir passer un arbre de Noël gigantesque.

C’est un paquebot et ses centaines de lumières - Une véritable fête foraine ambulante - Magnifique !

8 heures

Le soleil se lève - Le ciel est chargé de nuages
Nous sommes toujours au moteur.

A bord, seules les batteries débordent d’énergie.

Nous devrions arriver dans la soirée. Il est temps de hisser les couleurs du Brésil.

Oui… On sait… Il est à l’envers !

Mais ça, on s’en est rendu compte à l’arrivée !!!

Il nous faut absolument arriver avant la nuit. Ceci cause, depuis hier, quelques soucis à Rémy. Car, à 4 nœuds, cela va être très juste.

 

*

Séquence humilité.

Nous profitons de cette nuit au moteur et de nos quarts de veille pour lire d’autres sites, amis ou voyageurs inconnus ayant déjà rejoint l’Amérique du Sud.

Aussi, à la lecture de l’un d’eux (ernest-le-voyage.com), j’éprouve une certaine honte à me plaindre des conditions de notre traversée.

Ce couple fait le récit magnifique de leur descente en Patagonie puis passage du Cap Horn. Une lutte quotidienne face aux courants contraires et au froid, surmontant des périodes d’immense fatigue et de total découragement.

Martine et Jean, je ne vous connais pas, mais . . . Chapeau !

Et je suis définitivement convaincue que, malgré la beauté des paysages, je ne ferai jamais ce voyage là !

*

Il fait gris – Il pleut.

Nous approchons de la côte.

11 heures.

Déjà, au loin, nous distinguons des buildings, nombreux, immenses.

Heueu ! Nous ne sommes pas certains de vouloir y aller finalement !

 
Point de 13 heures

Position : 12° 56 S – 38° 14 W
Cap : 250
Distance parcourue : 2089 milles



 

Nous ne sommes qu’à 30 milles de la Baie de Salvador.

    

De la neige ?...

 

Cela nous semble impossible vu le climat local. Et pourtant, c’est si blanc.

Nous apprendrons quelques jours plus tard qu’il s’agit de dunes de sable d’une blancheur incroyable.

Régime moteur : 1600 tours - Nous ne sommes qu’à 2,5 nœuds.

Que se passe-t-il ?
Le courant a-t-il décidé de repousser d’une nuit encore notre arrivée ?


18 heures

 

Le phare est en vue. 

 

Les immeubles semblent saluer notre entrée dans la baie.

On se croirait à Manhattan.

Arrivant de Kachouane…ça choque !

Nous passons devant le phare...

Candice :
« On dirait qu’il s’est perdu ! »

... et entrons dans la baie de Salvador de Bahia.

Dans cette baie, les immeubles sont encore plus vertigineux.


 

Ils côtoient les fameuses favelas brésiliennes.

 
Cette charmante église bleue dominant ce quartier plus modeste, semble bien perdue elle aussi.

A priori, Salvador n’est pas ce que, sur , nous qualifierions de jolie ville.

Mais pour l’instant, nous, on s’en fiche !

Nous n’avons aucune intention d’aller à Salvador pour le moment. Encore moins de faire des manœuvres de port.

D’ailleurs, savons-nous seulement encore les faire ?

Nous visons le mouillage d’Itaparica en face de nous, sur l’île du même nom dont nous longeons la côté sur notre gauche.

   
       
    

Les toits de tuiles rouges et les façades colorées, au cœur d’une végétation dense semblent beaucoup plus hospitaliers.

Nous affalons la grand-voile et ne laissons que le génois.

Pour une fois en 25 jours, nous avons un petit vent arrière, léger… très léger, mais arrière tout de même.
Malgré le moteur, notre vitesse est de 2,5 nœuds. Et le plus souvent, le génois flotte. Car, avec notre chance coutumière, très vite, le courant s’inverse.

20 heures 30

Le soleil se couche déjà.

Je dis déjà, car si nous avons conservé l’heure du Sénégal (qui est aussi l’heure TU), ici, il est en fait 3 heures de moins.

Il n’est donc que 17 heures 30.
(21 heures 30 en France)

Rémy cherche une balise verte, soit disant visible à des milles (nous ne distinguerons qu’un faible clignotement vert en passant devant), que nous devrons laisser sur tribord.

Car nous sommes de l’autre côté de l’Atlantique. Le sens des balises est donc inversé.

Zut alors ! Moi qui avais enfin tout compris !

 

Il fait nuit lorsque nous entrons dans le canal d’Itaparica.

Il nous faut contourner de nombreux pylônes dont voici, de jour, un petit aperçu:

Nous suivons les instructions de notre guide papier. La carte est également ouverte sur l’ordinateur.

Et le sondeur ne fonctionne pas.
Mais ça, vous vous en doutiez !

Le slalom commence.
Un vrai parcours du combattant et pour moi un vrai stress qui fait bien rire Rémy.

Nous contournons la pointe et arrivons dans le mouillage, devant le petit village d’Itaparica.

Nous sommes mercredi 10 décembre.

Il est 22 heures 30.

Après avoir parcouru 2121 milles, après 25 jours et 9 heures 30 de mer,


nous jetons l’ancre et nous mettons à table, épuisés et affamés.

Anecdote :
Le mouillage est on ne peut plus calme. Pas une onde.

Candice et moi sommes occupées à préparer la table. Le bateau gite sur bâbord mais nous avons tellement l’habitude de vivre "penchés" que nous n’y prêtons guère attention.

Rémy descend et s’assied.

« Mais, c’est bizarre, on gite sur bâbord !
»

Nous réalisons alors que, tellement habitués à giter sur tribord et de compenser, notre sens de l’équilibre est modifié.

est en fait tout à fait stable.

Enfin le calme – Pas de bruit d’eau – Pas de bruit de voile – Pas de moteur – Pas de vent.

Le bonheur a l’état pur.

Une folle envie de crier me prend, vite réprimée car le mouillage semble endormi.

Jeudi 11 décembre – 9 heures TU
6 heures du matin, heure brésilienne.

Quelle douce nuit.

Quel délice de n’avoir dû se jeter hors du lit en plein sommeil.

Quel enchantement d’être enfin là, dans ce mouillage paisible parmi les quelques voiliers déjà ancrés devant la petite marina d’Itaparica.

Quelques gouttes de pluie tombent, puis cessent aussitôt.
Il fait très bon.

Prendre un café sans devoir s’accrocher. Fumer une cigarette sans que le vent ne la consume lui-même.

Et surtout le silence . . . Un silence total, tellement agréable.

Puis mettre le pied à terre, croiser des gens, saluer des être humains . . .

On y est !!!

   

Nous sommes heureux !


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